Monaco

Urbanisation en mer : le modèle monégasque – MAGAZINE #6

24 octobre 2018

Un éco quartier de six hectares incluant un port et une colline artificielle dotera la Principauté de Monaco d’une nouvelle façade maritime en 2025. Renzo Piano et Denis Valode ont apposé leur griffe sur le site aux 110 appartements et dix villas chauffés et climatisés par thalassothermie, explique Jean-Luc Nguyen, directeur de la Mission Urbanisation en mer au Gouvernement Princier de la Principauté de Monaco. Interview.

Propos recueillis par Jocelyne Vidal – Article issu du Magazine Terrésens 6

Comment est née l’idée d’un éco quartier gagné sur la mer à Monaco ?

« La Principauté est un très petit État de 2 km2 qui, dans le passé a déjà gagné une quarantaine d’hectares sur la mer. L’essor économique de la Principauté suscite le développement des emplois et la progression du nombre des résidents. Cela amène à réfléchir aux moyens de trouver du foncier. Pour trouver cette matière première, il y a seulement trois options sur un territoire aussi exigu que Monaco : La première option ? On change la fonction de certains terrains, ainsi ceux qui subissaient l’emprise de la voie ferrée, en ont été libérés lorsque les trains ont circulé sur des voies souterraines il y a une quinzaine d’années.
La seconde option consiste à densifier la construction sur des terrains déjà construits en remplaçant progressivement des immeubles bas par des résidences plus élevées. Quant à la troisième option, le gain sur la mer, elle fut déjà pratiquée à Monaco par le passé. Dès 1860, la Principauté procéda à de premières extensions en bord de mer, sous forme de petits terre-pleins et remblaiements de quelques mètres. Des extensions plus importantes ont été réalisées dans les années 60, quand Monaco réalisa plusieurs terre-pleins à Monte Carlo, au niveau du Sporting et de la plage de Larvotto. »

Monaco©VPA

Un premier concours lancé en 2007

« Le Grimaldi Forum et le Jardin Japonais se sont implantés sur des terrains gagnés sur la mer. C’est également le cas, plus à l’ouest, des 22 hectares du grand quartier de Fontvieille qui réunit autour du Stade Louis II et de la Roseraie Princesse Grace, 600 logements, un centre commercial, des usines et des bureaux. Ces réflexions ont donné lieu en 2007 au lancement d’un concours pour un projet d’extension en mer, nettement plus grand que celui d’aujourd’hui.
Au vu de la complexité environnementale locale et de la crise financière, le concours a été interrompu. Relancé en 2013 par le Prince souverain, le projet est devenu officiel en 2015, mais dans une version plus modeste, avec seulement 6 hectares gagnés sur la mer. En revanche, le cahier des charges environnementales et techniques s’est avéré particulièrement élaboré. »

Parlons du calendrier de réalisation du projet

« Le contrat a été signé en 2015, les travaux ont démarré en 2017. Au cours du deuxième trimestre de 2019, l’achèvement de la ceinture de protection permettra de démarrer les travaux de la phase d’aménagement des parkings publics et privés, des locaux techniques et des voies souterraines. Une fois terminée l’infrastructure maritime, la construction des superstructures, commencée au cours du second trimestre 2020, permettra la finition et la livraison des premiers bâtiments en 2022. La livraison du port d’animation et de l’extension du Grimaldi Forum sera effective en 2024 et l’année 2025 verra la fin des travaux. »

Quand ce projet s’achèvera, quel pourcentage de sa superficie aura été gagné sur la mer par la Principauté ?

« La rareté du foncier disponible a conduit la Principauté à s’étendre progressivement sur la mer avec la réalisation du terre-plein du Portier (qui accueille le Jardin Japonais et le Grimaldi Forum), du terre-plein du Sporting, des plages du Larvotto, du quartier de Fontvieille ou encore de l’extension du port Hercule, pour un total de plus de 40 hectares gagnés sur la mer. Les six hectares du nouvel éco quartier porteront à 20% le pourcentage de la superficie conquise sur la Méditerranée. »

La Principauté de Monaco joue-t-elle un rôle pionnier en matière d’urbanisation en mer ?

« Il existe certes, des réalisations aussi spectaculaires pour les fonctions urbaines conquises sur la mer, qu’il s’agisse de l’aéroport de Nice ou à l’étranger, des plates-formes construites au Japon, à Hong Kong, à Macao et à Dubaï où de grands quartiers résidentiels se sont édifiés au-dessus de la mer. Disons qu’à Monaco, la Principauté a été confrontée à une contrainte et s’y est adaptée, en plaçant très haut, il est vrai, la barre des exigences environnementales imposées au groupement privé qui construit ce nouveau quartier. L’État intervient dans le projet comme concédant du fond marin.
La maîtrise d’ouvrage de l’intégralité du Projet étant assurée par le groupement de l’Anse du Portier. En tant que « puissance publique concédante » et propriétaire final de l’infrastructure maritime, des aménagements publics et d’autres ouvrages qui lui reviendront, l’État supervise toute la réalisation du nouveau quartier et vérifie avec ses propres moyens, le respect des objectifs et exigences fixés dans le Traité.

Quel est l’intérêt financier de cette opération ?

« La réalisation de ce projet à financement privé répond intégralement aux objectifs poursuivis, eu égard aux avantages que l’État va en retirer.
En effet, sans participer en aucune manière à son financement, l’État monégasque va voir son territoire augmenter de 6 hectares, représentés par des travaux d’un coût de 2 milliards d’euros et recevoir plus d’un demi-milliard d’euros en aménagements publics, parmi lesquels un agrandissement de la capacité du Grimaldi Forum de près de 50%, un port d’animation, un parking public, des jardins, des espaces publics de qualité, des équipements nécessaires à ce nouveau quartier, mais également une soulte. De plus, l’État retirera de cette opération, tous les effets financiers induits par la vente des 60.000 m2 de logements de très grand luxe et des commerces, dont notamment le versement d’un montant important de TVA. »

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Parlons de l’originalité et des caractéristiques du projet ?

« Après avoir fait un benchmark de ce qui se passe ailleurs, nous avons mesuré le niveau très élevé de nos exigences environnementales. Ainsi devant la plage de Lorvatto, a été créé il y a une quarantaine d’années, un espace protégé de la navigation pour laisser s’épanouir la posédonie (1). De l’autre côté, sous l’hôtel Fairmont, une grande paroi verticale a vu se développer des coraux de Méditerranée qui ont souffert des travaux antérieurs au projet de 2015. Lequel nous a fait considérer ce tombant, en cours de nettoyage, comme une zone protégée, afin de restituer aux espèces les conditions naturelles de leur développement.

L’autre originalité du projet est sa forme. Délimité au nord-est, par la réserve marine du Larvotto et au sud-ouest par l’aire protégée du tombant coralligène des Spélugues, il calque son emprise sur la courbe isobathe des eaux de 35 mètres de profondeur et dessine ainsi un trait de côte arrondi, aux lignes fluides adaptées aux courants, afin d’en faciliter l’écoulement. Ce choix reflète une volonté de discrétion et d’intégration urbaine. »

Quelles contraintes techniques et environnementales a-t-il fallu intégrer ?

« La technique choisie pour réaliser l’infrastructure maritime est celle d’un remblai confiné par une ceinture de caissons trapézoïdaux munis de chambres d’amortissement (2). Lesquelles permettront de diminuer les franchissements par fortes houles et de protéger ainsi les parties exposées du projet. Ces caissons reposent sur une assise de 2 870 000 tonnes de matériaux de carrière qui viendront se substituer aux sols meubles actuellement en place. D’habitude, les ouvrages marins sont seulement conçus pour être solides. Ce sera naturellement le cas de la ceinture de dix-huit caissons trapézoïdaux en béton armé de 22 m/25 pour 20 m de haut et au poids de 10 000 tonnes chacun. Fabriqués à Marseille, ils assureront la protection du nouvel éco quartier de Monaco, tout en préservant la faune et la flore sous-marines. Challengés par le comité d’experts choisis par la Principauté, nous avons fait traiter la façade des caissons, de manière à ce qu’elle présente une rugosité propice à l’accueil des espèces marines sur les 500 mètres de murs disposés sous l’eau. »

« Quand on aide la nature, elle vous le rend bien ! »

« Pour vérifier l’efficacité de cette rugosité, nous avons immergé un échantillon de ce béton en début d’année et il s’est très vite colonisé, au bout de six mois, il s’est recouvert d’algues et de diverses espèces animales marines. Quand on aide la nature, elle vous le rend bien ! Rappelons à ce propos, que l’analyse de l’état initial du site, tant terrestre que maritime, avait permis d’identifier les enjeux et impacts potentiels associés au projet et de prévoir les mesures d’évitement et de compensation adaptées. Ainsi les espèces protégées, telles les grandes nacres et l’herbier de Posidonie feront – ils l’objet de mesures de déplacement et de restauration hors de l’emprise du projet, soit vers la réserve du Larvotto, soit vers un autre lieu adapté de la Principauté. Un suivi écologique attentif sera effectué tout au long du chantier et au cours des dix ans qui suivront sa réalisation, en vertu des engagements pris par le constructeur avec la Principauté. »

Quelles énergies renouvelables avez-vous privilégiées ?

« Le projet fait appel à un maximum d’énergies renouvelables locales : la production électrique s’effectuera à partir de 2 500 m2 de surface de panneaux photovoltaïques qui alimenteront tout le quartier. Les 110 appartements et les dix villas de l’éco quartier seront chauffés et climatisés par thalassothermie, autrement dit un système de pompe à chaleur fonctionnant à l’eau de mer. L’arrosage des espaces verts bénéficiera de la récupération des eaux pluviales sur le site, doté de stations de vélos à assistance électrique. La circulation des voitures sera interdite en surface dans ce quartier qui se veut exemplaire et vise les certifications HQE Aménagement, BREEAM, label Biodivercity et label Port Propre. »

Si vous deviez résumer ce projet en une phrase ?

« Ce quartier exemplaire par sa dynamique environnementale sera l’aboutissement d’une recherche d’équilibre. À la démonstration de technologies spectaculaires, il préfère l’intégration discrète au littoral et à la vie sous-marine. À la fin des travaux, nous nous en irons et la nature reprendra ses droits. »

1. Plantes aquatiques de la famille des Posidoniaceae. Bien qu’elles vivent sous l’eau, ce ne sont pas des algues, mais des plantes à fleurs (angiospermes) monocotylédones sous-marines.

2. Système d’amortissement intégré dans les caissons permettant d’absorber l’énergie de la houle et ainsi de limiter les franchissements de paquets de mer.

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Renzo Piano : « L’esprit de ce projet est celui de la Méditerranée »

Le temps de fêter les 40 ans du Centre Pompidou, l’une de ses premières réalisations, l’architecte de la London Shard en Grande Bretagne et du Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou à Nouméa, a fait escale à Monaco. Concepteur d’un immeuble emblématique de l’éco quartier du Rocher, aux côtés d’Alexandre Giraldi, Denis Valode et Michel Desvignes, Renzo Piano s’enthousiasme pour ce projet où souffle « l’esprit de la Méditerranée, un lieu magique. » Sa priorité ? Créer, côté port de 25 à 30 anneaux, « un lieu qui devienne une destination, avec un espace public et des boutiques où l’on pourra flâner dans le sillage d’une créature flottante », autrement dit un bâtiment de dix-sept étages « fragmentés, légers et transparents, pour laisser la lumière passer d’un volume à l’autre, sans rien masquer de l’air, des oiseaux et du bleu de la mer. »

« Créer une extension en mer c’est quelque chose d’artificiel, déclare Denis Valode et tout notre travail consiste à faire apparaître cette démarche naturelle, en donnant le sentiment que l’aménagement appartient au contexte monégasque ». Des propos auxquels font écho ceux de Michel Desvigne : « L’important est de ne pas considérer une extension en mer comme une chose en plus, mais comme un rééquilibrage, un embellissement, voire le perfectionnement d’éléments pré existants. »
L’un des premiers enjeux des architectes, fut donc le contour de ce nouveau quartier :
« il épouse naturellement les courbes d’égale profondeur, qui permettent l’écoulement des courants marins et donc l’oxygénation de la mer. »

Un retour aux sources de l’urbanisation de la Riviera

Ce nouveau territoire se devant d’être « exemplaire, sur le plan de l’environnement terrestre, comme au niveau du paysage, typiquement méditerranéen », Denis Valode a opté pour un bâti organisé comme une succession de villas et d’immeubles étagés sur la colline, de manière à évoquer l’origine de l’urbanisation de la Riviera : « ce mélange de villas et de jardins étagés est typique du projet qui joue également sur la complémentarité d’une partie plus terrestre et d’ une autre tournée vers le large, plus indépendante et plus maritime. »

L’idée de créer un quartier multiple suscite des ambiances diverses : le port propose une ambiance méditerranéenne, tandis qu’une colline artificielle « cœur vert » du projet, relie le Jardin Japonais, le Grimaldi Forum et les quartiers du front de mer.
Disposés en forme d’amphithéâtres, les jardins d’eau tournés vers le large, forment un ensemble de quatre immeubles de huit à dix étages et de villas, dont sept se trouvent en bord de mer, trois sur la colline. Axe fort du projet, le volet paysager vise à créer un ensemble de jardins remarquables, doté d’une palette végétale s’inspirant des associations de plantes méditerranéennes. Ponctués de jeux d’eau et de cheminements piétons, ces jardins revisitent le maquis méditerranéen, pour se régénérer et créer « toutes les conditions de l’installation de la vie » selon le principe fondateur de l’Eco Quartier Méditerranéen et littoral de Monaco.

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