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Permis de construire Recours abusifs, le législateur a ouvert les yeux !

28 février 2016

Au cours des 20 dernières années, l’explosion de la bulle immobilière, combinée à une judiciarisation croissante de la société et aux effets de la crise économique, a conduit à une augmentation exponentielle des recours présentés à l’encontre des permis de construire, souvent pour des motifs purement financiers.

Par Cabinet Brumm & Associés

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Au-delà de la simple réaction d’opportunité, certains ont mis sur pied des systèmes organisés s’apparentant à des opérations de racket au préjudice des promoteurs immobiliers qui, de guerre lasse, l’avaient intégré comme l’une des données de leurs opérations. Toutefois, un mouvement de résistance a été engagé par plusieurs d’entre eux sur le terrain judiciaire, qui a permis de faire évoluer la jurisprudence (1).

Cette évolution a été suivie par le législateur, et a généré une importante réforme de la procédure administrative (2), qui vient d’être complétée de mesures intégrant la dimension de l’urbanisme commercial (3).

Terrésens Magazine : Pouvez-vous nous en dire plus sur l’évolution jurisprudentielle suite aux recours abusifs ?

Cabinet Brun & Associés : Plusieurs arrêts de la Cour de Cassation, statuant sur des demandes présentées à l’encontre de recours considérés comme abusifs, ont fait évoluer cette dernière notion, qui se déduit désormais du fait que le recours contre le permis de construire n’était « pas inspiré par des considérations visant à l’observation des règles d’urbanisme » (Cass. civ. 3 – 5.06.12 – Pourvoi n° 11-1719).

La réclamation indemnitaire présentée à l’encontre de l’auteur du recours abusif, fut-ce en demandant des sommes très élevées, n’est plus considérée comme fautive dès lors que « le recours contre le permis de construire ne repose sur aucun moyen sérieux et n’a pour but que de retarder le projet immobilier » (Cass. civ. 2 – 5.03.12 – Pourvoi n° 11-13491).

Mais la décision la plus caractéristique rendue en la matière reste l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation daté du 22 janvier 2014 (pourvoi n° 12-88042).

Pour la première fois, confirmant un arrêt rendu le 9 décembre 2012 par la cour d’appel de Paris, la Haute Juridiction a considéré que « le fait d’exercer une action en justice hors de la protection d’un intérêt légitime, et après avoir artificiellement créé un intérêt à agir, constitue une manoeuvre déterminante de la remise des fonds » caractérisant l’infraction d’escroquerie.

Il s’agissait du dernier acte d’une procédure menée à l’encontre d’une association de malfaiteurs ayant érigé le recours administratif en moyen de financement: Après avoir acquis, voire simplement loué, des surfaces minimes situées à proximité de programmes immobiliers d’envergure, ils déposaient, contre le permis déposé pour celui-ci, un recours administratif simplement destiné à convaincre le maître d’ouvrage de leur régler une indemnité lui évitant un report sine die de son chantier.

Ces décisions, ainsi que la situation qu’elles sanctionnaient, ont conduit le législateur à envisager une réforme de la procédure de recours contentieux à l’encontre des permis de construire.

Terrésens Magazine : Et à propos de la réforme de 2013 ?

Cabinet Brun & Associés : Le 25 avril 2013, Monsieur Daniel LABETOULLE, président honoraire de la Section du contentieux du Conseil d’Etat, remet au ministre de l’Egalité des territoires et du Logement un rapport, rédigé par le groupe de travail qu’il présidait, intitulé « Construction et droit au recours: Pour un meilleur équilibre ».

Sur la base des propositions de ce rapport vont être élaborés l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 et le décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013, tous deux relatifs « au contentieux de l’urbanisme ».

Les nouveautés apportées par ces textes s’articulent autour de six thèmes.

2.1 – Restriction de l’intérêt à agir

Désormais, le recours ne sera recevable que si le requérant démontre que le projet contesté est « de nature à affecter directement les conditions d’occupation d’utilisation ou de jouissance du bien détenu ou régulièrement occupé ».

Le juge procède à une appréciation restrictive et concrète de cet intérêt.

En d’autres termes, la seule situation de voisinage ne suffit plus à justifier d’un intérêt à agir.

En outre, celui-c-ci s’apprécie à la date de l’affichage du permis litigieux, et non à celle de dépôt du recours, excluant donc les personnes s’étant installées en connaissance de cause.

2.2 – La régularisation en cours de procédure.

Ici encore, le législateur a consacré une évolution de la jurisprudence.

Sur le fondement du nouvel article L600-5 du code de l’urbanisme, le juge administratif peut octroyer au pétitionnaire du permis contesté un délai destiné à régulariser celui-ci.

Il peut même surseoir à statuer dans l’attente du permis modificatif si les vices invoqués se limitent à des problèmes de forme ou apparaissent régularisables.

2.3 – Le principe de cristallisation des moyens.

Un des dispositifs les plus innovants emprunte à la théorie de l’unicité du recours, ou de la concentration des moyens, que connaît la jurisprudence judiciaire, particulièrement en matière pénale.

Le juge administratif peut, s’il est saisi d’une demande en ce sens, déterminer une date à compter de laquelle aucun argument nouveau ne pourra plus lui être soumis.

Ce principe a pour objet d’éviter le mécanisme de délayage des moyens par lequel le requérant retardait l’issue du procès en déposant régulièrement des mémoires présentant de nouveaux arguments.

2.4 – Suppression de l’appel dans certains cas

Cette disposition vise (pour une période probatoire de 2014 à 2018 dans un 1er temps) les permis de construire (ou de démolir) portant sur un bâtiment à usage principal d’habitation situé en zone « tendue » (c’est à dire dans une commune confrontée à un important besoin de logements).

En pratique, les décisions seront rendues en premier et dernier ressort, et ne pourront être attaquées que par la voie du pourvoi devant le Conseil d’Etat.

2.5 – L’indemnisation des recours abusifs

La disposition la plus commentée de ces deux textes est celle qui permet désormais au titulaire du permis faisant l’objet du recours de demander au juge de condamner l’auteur de celui-ci (s’il succombe) à lui verser une indemnité.

Cette demande peut être présentée à tout moment, y compris pour la 1ère fois en cause d’appel.

Il s’agit d’éviter au pétitionnaire qui vient d’affronter un recours administratif d’avoir à ressaisir le juge d’une demande indemnitaire, et donc de faire peser, sur l’auteur d’un recours téméraire, un risque dissuasif.

2.6 – L’enregistrement des transactions

Dernière mesure significative de l’arsenal déployé en 2013, l’obligation d’enregistrer, auprès des services fiscaux, les transactions intervenues pour mettre un terme aux recours engagés contre des autorisations d’urbanisme.

A défaut, celle-ci sera réputée sans cause et le pétitionnaire « payeur » pourra solliciter la restitution de l’indemnité versée.

Cette disposition n’a pas de protée fiscale (les indemnités n’étant pas imposables), mais vise à identifier les auteurs potentiels de recours et de transactions multiples, qui pourraient s’apparenter à des pratiques de chantage organisé, à des fins purement pécuniaires.

Terrésens Magazine : Parlez-nous aussi de l’extension de la loi Pinel ?

Cabinet Brun & Associés : Au milieu d’autres mesures concernant, notamment, les baux commerciaux, la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 a introduit quelques nouveautés à la procédure de recours à l’encontre des autorisations d’urbanisme.

En effet, les articles 37 et suivants de ce texte, qui modifient le code de l’urbanisme, fusionnent le régime des permis de construire avec celui des autorisations d’exploitation commerciale, de sorte que, désormais, « le permis de construire tient lieu d’autorisation dès lors que la demande de permis a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial »

De ce fait, tout projet d’implantation, modification ou extension d’exploitation commerciale doit donner lieu au dépôt d’un permis de construire, qui emportera saisine de la CDAC, et ne pourra être délivré que sur avis favorable de cette dernière. Par voie de conséquence, ledit permis pourra être attaqué pour des motifs liés à la situation concurrentielle, ou à la situation de l’immeuble.

Les recours déposés dans ce cadre seront soumis aux nouvelles dispositions issues de l’ordonnance de du décret de 2013.

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